Le Cinéma Burlesque
Des Frères Lumière à Somingazé
Une histoire du comique visuel, de ses origines aux réinterprétations contemporaines réunionnaises
L’Art du Burlesque : Une Introduction
Le cinéma burlesque occupe une place unique dans l’histoire du 7ème art. Genre fondateur apparu dès les premières projections des frères Lumière, il a traversé plus d’un siècle d’évolution artistique pour se réinventer constamment. Sa définition même s’est transformée au fil du temps : d’abord caractérisé par le comique corporel et les gags visuels du cinéma muet, il s’est progressivement enrichi d’absurde et de critique sociale.
Le terme « burlesque » vient de l’italien « burla » (plaisanterie) et désigne un genre qui développe des idées extravagantes à l’aide d’expressions bouffonnes, voire triviales. Au cinéma, il se caractérise par une vision de la vie déformée et exagérée, faite de performances physiques, de bagarres, de courses-poursuites et de situations absurdes.
« Le burlesque ne filme pas ce que l’on voit, mais ce que l’on ressent. L’émotion précède toujours la technique. »
— Lauren Ransan, Wopé Production
De « L’Arroseur arrosé » des frères Lumière à la série « Somingazé » de Wopé Production à La Réunion, ce genre cinématographique continue de fasciner par sa capacité à allier l’absurde, l’humour corporel et la critique sociale, tout en s’adaptant aux spécificités culturelles de chaque époque et de chaque territoire.
Caractéristiques du Burlesque
- Comique visuel et corporel
- Situations absurdes et inattendues
- Renversement des conventions sociales
- Personnages archétypaux récurrents
- Critique sociale sous-jacente
- Chorégraphie des gags et cascades
- Décalage entre intention et résultat
Des Origines Françaises à l’Âge d’Or Américain
1895 : Les Débuts avec les Frères Lumière
Le cinéma burlesque naît avec le cinématographe lui-même. « L’Arroseur arrosé » des frères Lumière est universellement reconnu comme le premier film burlesque de l’histoire du cinéma. Cette œuvre de 49 secondes établit déjà les codes fondamentaux du genre : l’effet de surprise, le renversement de situation et le comique visuel immédiat.
1905-1914 : L’École Française et Max Linder
Max Linder émerge comme la première grande vedette du cinéma burlesque mondial. Il invente en 1910 le personnage de « Max », dandy élégant et séducteur toujours coiffé d’un haut de forme. Son apport enrichit des scénarios banals d’une grande finesse d’observation et d’une dimension quasi réaliste, réconciliant le cirque et le vaudeville.
Cette période voit naître les séries construites autour d’un personnage récurrent, formule qui sera largement reprise par l’industrie américaine. Les films français privilégient deux formules comiques principales : les courses-poursuites et les gags en cascade, établissant les bases du langage cinématographique burlesque.
1910-1930 : L’Âge d’Or Américain
L’expatriation du burlesque vers les États-Unis marque l’entrée dans son âge d’or. Cette période voit émerger les figures légendaires qui définissent encore aujourd’hui notre conception du cinéma burlesque :
Charlie Chaplin
Développe un style circulaire où Charlot, éternel vagabond sans assignation sociale, « fait un petit tour et puis s’en va ». Sa démarche créative mêle tradition mélodramatique et innovation technique.
Buster Keaton
Surnommé « poète et mécanicien du gag », Keaton privilégie l’horizontalité et la pure beauté technique du gag, développant un style impassible et réflexif qui contraste avec l’intensité émotionnelle de Chaplin.
Harold Lloyd
Élégant et romantique, Lloyd explore la dimension verticale du burlesque, comme dans ses célèbres scènes de gratte-ciel qui ont marqué l’histoire du genre.
1930-1960 : L’Évolution vers le Parlant
L’introduction du cinéma parlant ne marque pas la fin du burlesque mais sa transformation. Les Marx Brothers et W.C. Fields perpétuent la tradition agressive du film burlesque, tandis que Jerry Lewis inaugure un quatrième âge du genre avec des situations optiques et sonores qui entrent dans un circuit autoréférentiel.
Renaissance Moderne et Influences Contemporaines
Jacques Tati et la Modernité Burlesque
La période 1960-1990 voit naître une renaissance moderne du burlesque, incarnée notamment par Jacques Tati. Celui-ci parvient à réinterpréter le cinéma burlesque dans une approche plus lente et contemplative, adaptée à l’ère du « cinéma moderne ». Dans « Mon Oncle » (1958), Tati tourne en dérision le rationalisme architectural et technologique, créant une dialectique entre corps aliénés et corps singulier. Son personnage de Monsieur Hulot devient l’archétype du burlesque moderne : inadapté aux évolutions technologiques mais profondément humain.
Le Nouveau Burlesque Français Contemporain
Depuis 2010, un véritable « moment burlesque » traverse le cinéma français contemporain. Plusieurs cinéastes émergents se réclament ouvertement de la comédie, en se tenant à distance des recettes télévisuelles traditionnelles. Ce mouvement, reconnu officiellement lors d’une rétrospective au Festival Entrevues de Belfort en 2016, inclut des réalisateurs comme :
Antonin Peretjatko
L’un des seuls cinéastes à reprendre fièrement et fidèlement les codes du registre burlesque. Ses films comme « La Loi de la jungle » (2016) témoignent d’un univers burlesque assumé, mêlant fantaisie visuelle et critique sociale.
Quentin Dupieux
Apporte son sens du burlesque habituel dans des œuvres comme « Mandibules » (2021) et « Incroyable mais vrai » (2022), filmant des histoires absurdes avec une décontraction caractéristique.
Jean-Christophe Meurisse
Fondateur du collectif Les Chiens de Navarre, il représente une approche particulière du burlesque contemporain. Fasciné par le mouvement dada, Meurisse aime l’absurde et excelle à tordre la réalité.
Ce nouveau burlesque français se caractérise par plusieurs éléments distinctifs : l’absurde et le non-sens dominent, accompagnés d’un comique corporel renouvelé et d’une forte dimension critique sociale. Ces films partagent également une dimension géographique – ce sont souvent des road-movies ou des films d’aventure – qui constitue une façon hardie de parler de la France contemporaine.
Le Renouveau par le « New Burlesque »
Les années 1990 marquent un tournant avec l’émergence du « new burlesque » ou « neo-burlesque », mouvement artistique et féministe né aux États-Unis. Ce renouveau influence également le cinéma, comme en témoigne le film « Tournée » (2010) de Mathieu Amalric. Cette œuvre, parsemée de numéros fabuleux et débridés, offre une galerie de portraits en poésie, fantaisie et fureur, renouvelant l’esthétique burlesque pour le XXIe siècle.
Wopé : L’Émergence du Burlesque Réunionnais
Une Vision Décalée pour La Réunion
Fondée par Lauren Ransan et Abel Vaccaro en 2019, la société de production Wopé s’est rapidement imposée comme un acteur majeur du paysage audiovisuel réunionnais, avec une approche résolument décalée qui s’inscrit dans la lignée du nouveau burlesque français tout en y apportant une saveur insulaire unique.
La société s’est spécialisée dans la création de films de fiction originaux et décalés qui revisitent les codes du burlesque traditionnel en les adaptant aux réalités culturelles et géographiques de La Réunion. Le « Kino Spirit », philosophie créative au cœur de Wopé, mêle authenticité locale, innovation technologique et créativité sans limites.
« Notre ambition est de créer un cinéma réunionnais qui résonne universellement, en racontant des histoires ancrées dans notre île tout en touchant un public international. »
— Lauren & Abel, Fondateurs de Wopé
Le logo de Wopé Production, symbole de la création audiovisuelle décalée à La Réunion
Le Duo Créatif derrière Wopé
Lauren Ransan
La Stratège Créative aux Multiples Talents
Réalisatrice et autrice primée, Lauren s’est d’abord distinguée par ses documentaires d’expertise sur le patrimoine historique de l’océan Indien avant de s’imposer dans la fiction avec des œuvres remarquées et multi-primées. Sa capacité unique à transformer des sujets complexes en récits captivants fait d’elle une voix incontournable du cinéma contemporain.
Son approche créative signature mélange recherche historique approfondie et intuition artistique. Chaque projet commence par une immersion totale dans le sujet, suivi d’un long processus de maturation créative qui aboutit à des œuvres d’une rare authenticité.
Abel Vaccaro
Le Visionnaire Technique qui Concrétise les Rêves
Producteur, réalisateur et entrepreneur culturel, Abel a joué un rôle déterminant dans l’émergence du cinéma réunionnais contemporain. Son expertise technique et sa vision entrepreneuriale ont permis de structurer une production audiovisuelle ambitieuse et reconnue au-delà des frontières de l’île.
Fondateur du mouvement Kino Réunion en 2003, il a créé un espace d’expression cinématographique inédit qui a vu émerger toute une génération de talents réunionnais. Sa philosophie : « La technique doit servir l’émotion, jamais l’inverse. »
Le Kino Spirit : ADN Créatif de Wopé
Au-delà d’une simple approche de production, le « Kino Spirit » représente la philosophie créative qui anime tous les projets de Wopé. Cet esprit, hérité du mouvement Kino créé par Abel Vaccaro à La Réunion en 2003, se caractérise par quatre principes fondamentaux :
Créativité Décalée
Un refus des codes convenus pour inventer un langage audiovisuel propre, toujours surprenant, jamais ennuyeux.
Authenticité Réunionnaise
Des racines 974 qui nourrissent chaque création avec cette énergie volcanique unique dans l’océan Indien.
Innovation Continue
Une exploration permanente de nouvelles technologies et narrations pour repousser les limites du possible.
Excellence Accessible
La qualité professionnelle associée à une approche humaine : l’excellence sans prétention, la technique avec l’âme.
Somingazé : Le Burlesque à la Réunionnaise
La Première Série Originale Canal+ Réunion
« Somingazé » représente un tournant dans la production audiovisuelle réunionnaise. Première création originale Canal+ Réunion, cette série de 24 épisodes de 6 minutes chacun revisite les codes du burlesque pour les adapter aux réalités et à la culture de l’île intense.
Réalisée par Lauren Ransan et Abel Vaccaro, la série raconte l’histoire d’un unijambiste passionné de trail et de son demi-frère paysan obsédé par leur mère disparue. Même si tout les sépare, ils trouvent un deal pour atteindre leurs objectifs : parcourir La Réunion pour ressouder une famille disloquée et prouver qu’ils peuvent faire la course la plus dure au monde, le Grand Raid.
Tournée dans des lieux emblématiques et parfois inaccessibles de l’île comme Mafate ou le Piton des Neiges, « Somingazé » représente une prouesse logistique autant qu’artistique qui révolutionne la production sérielle locale. Avec plus de 2 millions de vues cumulées et une diffusion sur l’ensemble du territoire français, la série établit un nouveau standard pour la production audiovisuelle réunionnaise.
Logo de la série Somingazé, production Wopé
Les protagonistes de Somingazé en pleine aventure dans les forêts réunionnaises
Un Casting d’Exception
L’une des forces de « Somingazé » réside dans son casting qui mêle talents locaux et personnalités nationales, créant une alchimie unique qui renforce la dimension burlesque de la série :
Boris Domitile & Lino Rasolonirina
Le duo principal qui porte la série avec un naturel désarmant
Ophélie Winter
Dans le rôle de Sylvie, métropolitaine aux multiples addictions
Bun Hay Mean
Le « Chinois Marrant » apporte sa touche comique unique
Marie-Alice Sinaman
En voyante Christine, figure emblématique de l’humour réunionnais
Estéban
Incarnant Robert Chicaud, créateur mythique du Grand Raid
Kaf Malbar
L’artiste réunionnais qui « vole » plutôt que de marcher
Ophélie Winter dans le rôle de Sylvie
Marie-Alice Sinaman en voyante Christine
Estéban dans le rôle de Robert Chicaud
Une Réinvention du Burlesque Insulaire
« Somingazé » ne se contente pas de transposer les codes du burlesque classique dans un contexte réunionnais. La série réinvente le genre en s’appuyant sur plusieurs éléments distinctifs :
Géographie comme Personnage
Les paysages spectaculaires de La Réunion, des cirques au volcan, ne sont pas de simples décors mais deviennent des acteurs à part entière du récit burlesque, influençant directement les situations comiques et les défis des protagonistes.
Créolité et Universalité
La série jongle habilement entre expressions créoles et français standard, créant un métissage linguistique qui renforce les situations burlesques tout en restant accessible à un public national.
Handicap et Performance
Le personnage principal unijambiste renverse les codes traditionnels du burlesque corporel en transformant ce qui pourrait être perçu comme une limitation en source de gags visuels et de performances extraordinaires.
Format Court Intensifié
En adoptant un format de 6 minutes par épisode, « Somingazé » intensifie l’essence même du burlesque : la concision, l’efficacité narrative et la puissance immédiate du gag visuel.
« En 2020 le Grand Raid est annulé, mais Somin Gazé naît. Une façon de faire vivre cette course mythique à travers la fiction burlesque, en captant son esprit de dépassement et d’aventure. »
— Wopé Production
Les Autres Créations Burlesques de Wopé
Au-delà de « Somingazé », Wopé Production a développé plusieurs œuvres qui revisitent et actualisent l’héritage burlesque, créant un corpus cohérent qui établit une véritable signature artistique.
Sentier Paradis (2021)
Court-métrage inspiré d’une histoire vraie avec Didier Super et Mathilde Feuerbach. Musique originale de Fuzati des Klub des Loosers. Ce film marque l’entrée de Wopé Production sur la scène internationale avec une approche narrative audacieuse qui mélange réalisme social et poésie visuelle.
Dans la tradition du burlesque moderne, « Sentier Paradis » utilise le décalage entre un environnement naturel grandiose et la petitesse des comportements humains pour créer des situations à la fois comiques et poignantes.
Récompenses :
- Label Short Film Market Picks – Clermont-Ferrand 2022
- Mention Spéciale Grand Prix – Genesis International Film Festival 2022
- Meilleure Photographie – ARFF Paris 2022
- Meilleur court-métrage – ARFF Amsterdam 2022
Au fond du trou (2024)
Court-métrage sur l’histoire douloureuse des Enfants de la Creuse avec Gustave Kervern et Élise Larnicol. Une approche poétique et sensible d’un sujet historique complexe qui démontre la maturité artistique du duo.
Ici, le burlesque sert de contrepoint à un sujet historique douloureux, créant une tension narrative qui renforce le message tout en le rendant plus accessible émotionnellement. Cette utilisation du décalage burlesque comme outil de médiation historique représente une évolution significative du genre.
Distinctions :
- Mention spéciale compétition panafricaine fiction – Madagascourt 2024
- Sélection officielle – Festival du Film Court de Saint-Pierre 2024
- Programme « Francophone culture in Shorts » – Université Américaine de Paris 2025
Y’en a des biens (2025) – Le Grand Saut
Premier long-métrage du duo : l’aboutissement d’un parcours et la promesse d’une nouvelle dimension dans leur exploration du burlesque contemporain. Ce projet ambitieux marque une étape cruciale dans l’évolution de Wopé Production et dans la reconnaissance du cinéma burlesque réunionnais sur la scène nationale.
Avec un casting d’exception incluant Blanche Gardin, Aymeric Lompret, Corinne Masiero, Gustave Kervern, Élise Larnicol, Guillaume Meurice et Pierre-Emmanuel Barré, ce film représente l’aboutissement de la vision artistique de Lauren et Abel : une comédie humaine qui transcende les frontières géographiques et culturelles.
« Nous voulons prouver qu’un cinéma réunionnais peut toucher le cœur de tous les Français, et même au-delà. »
Le Kino Spirit en Action
Au-delà des productions officielles, Wopé anime également un mouvement créatif continu à travers le « Kino Spirit », qui se traduit par des expérimentations burlesques régulières, des collaborations artistiques spontanées et des formats courts qui repoussent constamment les limites du genre.
La Sélection Kino de Zarbel
Une collection de courts formats expérimentaux qui explore les frontières du burlesque contemporain
L’Avenir du Burlesque Réunionnais
Un Héritage en Construction
Le travail de Wopé Production s’inscrit dans une double lignée : celle du burlesque classique, dont ils réinterprètent les codes avec une sensibilité contemporaine, et celle d’un cinéma réunionnais en pleine émergence, qui cherche à définir sa propre identité artistique. En conjuguant ces deux héritages, Lauren Ransan et Abel Vaccaro créent un langage cinématographique unique qui enrichit les deux traditions.
Leur approche du burlesque, ancrée dans le territoire réunionnais mais ouverte sur le monde, témoigne de la capacité de ce genre à transcender les époques et les cultures. Comme les grands maîtres du burlesque avant eux, ils utilisent le rire comme vecteur de questionnements plus profonds sur notre société et notre humanité partagée.
Le Burlesque comme Pont Culturel
L’une des forces du burlesque réside dans sa capacité à traverser les frontières linguistiques et culturelles. En s’appuyant principalement sur le comique visuel et corporel, il offre une forme d’expression universelle qui peut être comprise et appréciée par-delà les différences. Dans le contexte réunionnais, marqué par un riche métissage culturel, cette caractéristique prend une dimension particulièrement significative.
Les productions de Wopé exploitent pleinement cette universalité du burlesque pour raconter des histoires profondément réunionnaises qui résonnent bien au-delà de l’océan Indien. Ce faisant, elles contribuent à faire connaître la culture réunionnaise tout en l’inscrivant dans une tradition cinématographique mondiale.
Conclusion : Le Burlesque Réinventé
De « L’Arroseur arrosé » des frères Lumière à « Somingazé » de Wopé Production, le cinéma burlesque a démontré une extraordinaire capacité d’adaptation et de renouvellement. Ce qui était à l’origine un simple divertissement visuel s’est transformé en un langage cinématographique sophistiqué, capable d’explorer les complexités de la condition humaine tout en provoquant le rire.
L’émergence d’un burlesque réunionnais, porté par la vision créative de Lauren Ransan et Abel Vaccaro, représente un nouveau chapitre passionnant dans cette histoire en constante évolution. En s’appropriant les codes du genre pour les adapter aux réalités insulaires, ils enrichissent à la fois le patrimoine cinématographique réunionnais et la tradition burlesque mondiale.
Alors que Wopé Production continue de développer de nouveaux projets et d’explorer de nouvelles formes d’expression, une chose est certaine : le burlesque a encore de beaux jours devant lui, sur l’île de La Réunion comme ailleurs, pour nous faire rire, réfléchir et nous émerveiller.
